Viret quitta Orbe en septembre 1532 pour entamer un véritable ministère itinérant. Il était devenu urgent de consolider la Réformation en d’autres lieux. On le retrouvera à Payerne, Neuchâtel et Genève.
C’est au cours de ces quatre années qu’il subira deux tentatives d’assassinat qui marqueront sa santé jusqu’à la fin de ses jours.
Dès son premier passage à Payerne, Viret rencontra une vive opposition de la part des catholiques. Ne se décourageant pas, et quoique nommé pasteur à Neuchâtel au printemps 1533, il continua à prendre soin des fidèles de cette ville. Si bien que l’opposition des prêtres devint d’autant plus vive, et ils parvinrent à le traîner en justice. Or, sachant qu’il se rendrait à Payerne pour comparaître devant le Conseil de la ville, ils préparèrent un guet-apens où il fut frappé de plusieurs coups d’épée dans le dos. Ils le laissèrent pour mort. Grièvement blessé, il mettra longtemps à s’en remettre.
La deuxième tentative d’assassinat eut lieu à Genève, en mars 1535. Sitôt après avoir consommé un plat d’épinards, Viret se trouva mal, et frôla à nouveau la mort. Il est difficile, aujourd’hui, de démêler les tenants et aboutissants de cette affaire, du fait même des difficultés que rencontrèrent les juges pour connaître la vérité. D’ailleurs, on en est même venu à douter que Viret fût empoisonné. Quoi qu’il en soit, pour son entourage comme pour lui-même la question ne fait pas de doute. En effet, dans son épître du 7 décembre 1563, il écrira :
Il y a deux ans passé [...] je tombai en une maladie, par laquelle tout mon corps fut tant débilité [= affaibli], et fut mis si bas, que je ne pouvais attendre autre chose selon mon jugement, sinon d’être porté en terre. Car je n’avais jamais eu maladie auparavant qui m’eût mené si près du sépulcre, non pas même quand je fus empoisonné par l’art et la pratique des ennemis de l’Évangile, qui dès lors que je ne pouvais avoir guère plus de vingt et trois ou vingt et quatre ans, pourchassaient ma mort. Mais ce bon Dieu qui déjà dès ce temps-là m’a délivré de la mort que la poison mortelle [= le poison mortel] me devait apporter [...] m’en a encore retiré cette autre fois [... [*6r] ...] De ma part je ne faisais pas mon conte de [= je ne pensais pas] jamais sortir du pays de ma nativité, pour aller ailleurs prêcher l’Évangile, tant à cause de l’insuffisance que je reconnaissais en moi, que de la débilité [= faiblesse] de mon corps, à laquelle j’ai déjà dès long temps été sujet.
Ce sont probablement ces deux épisodes qui l’affaiblirent au point qu’il connaîtra des rechutes.
Quant à ceux qui attentèrent par deux fois à sa vie, et plus particulièrement aux prêtres, il n’hésita pas, lors de la dispute de Lausanne en 1536, à leur rappeler leurs torts :
Nous aimerions beaucoup mieux que vous parlassiez publiquement à nous, et nous dissiez tout ce que voudriez, que dire mal de nous en [= par] derrière, et ce que vous n’oseriez et ne pourriez maintenir, que de nous attendre sur les champs pour nous tuer, de quoi nous en portons le témoignage sur notre dos, ou de nous faire empoisonner, comme nous l’avons expérimenté. Et de cela ne vous avons point rendu cent fois autant, mais avons encore procuré votre bien et pardon. Et de ceci peuvent rendre témoignage plusieurs qui sont en la campagne, comme nous avons rendu bien pour mal, et prié pour ceux qui avaient tâché à notre mort.
L’affaire de l’empoisonnement donna lieu à deux procès. L’exécutante, Antonia Vax, fut convaincue et exécutée. Quant aux commanditaires, ils ne purent être confondus ; il s’agissait probablement de l’opposition catholique qui cherchait désespérément à sauver Genève de la Réformation. Il est difficile de juger de la place qu’occupa Viret au cours de ces procès, en dehors du fait, bien sûr, qu’il était la victime. Mais il semble bien qu’il n’ait jamais comparu devant le tribunal.
Relevons ici que Viret était au service de Leurs Excellences de Berne, si bien qu’ayant peur d’un incident diplomatique, les Genevois hâtèrent le jugement de l’empoisonneuse. En effet, elle commit son méfait le 6 mars, elle fut condamnée à mort le 13 avril, et décapitée le 14 juillet. Ainsi, Viret étant certainement encore malade, il ne put intervenir.
D’autre part, quand bien même il serait intervenu pour que l’on ne torture pas cette femme, ou du moins que l’on soit plus clément, l’affaire étant d’ordre civil, les règles en vigueur, dans un tel cas, auraient de toute façon été appliquées.
Mais il est difficile de juger s’il tenait déjà les propos modérés, que nous trouvons vingt ans plus tard sous sa plume, quant aux méfaits de la torture :
T[imothée ...] Il est bien facile de contraindre par tourments un homme innocent, à témoigner faux contre sa propre vie, ou contre la vie des autres. Car les hommes ne sont pas de pierre ni de fer. L’infirmité de la chair est grande. Parquoi [= C’est pourquoi] plusieurs aiment plus cher mourir tantôt [= aussitôt], qu’être démembrés par tourments cruels, par lesquels ils meurent trop plus [= beaucoup plus] souvent qu’une fois, s’il faut regarder aux douleurs qu’ils endurent. D[aniel]. Il y a toutefois plusieurs juges et officiers qui n’ont plus de regard aux prisonniers qu’ils tiennent, que s’ils avaient des bêtes brutes entre les mains. T[imothée]. Je crois qu’il y en a qui traiteraient plus humainement des bêtes brutes, qu’ils ne traitent les hommes.
Texte tiré de D-A. Troilo, Pierre Viret et l’anabaptisme éléments sous droits d’auteur.