Aux souffrances physiques que nous venons d’évoquer vont s’ajouter de nouvelles épreuves morales.
Après avoir œuvré avec succès pour l’établissement de la Réformation à Lausanne, et après son intervention majeure au cours de la dispute de 1536, Viret y fut nommé pasteur. Il y exerça son ministère jusqu’en 1559, soit durant près de 23 ans.
Comme nous l’avons relevé plus haut, de son temps déjà, on reconnut en lui un homme de paix d’une grande valeur. Si bien qu’au cours de ce long ministère à Lausanne, on fit appel à lui de très nombreuses fois comme médiateur. Il joua ce rôle entre Calvin et le Conseil de la ville de Genève, de 1538 à 1541 ; entre Calvin et Castellion, en 1544 : entre Farel et la ville de Neuchâtel ; et dans de nombreuses autres situations.
D’autre part, il était très sensible aux souffrances de ses coreligionnaires persécutés à l’étranger, et particulièrement en France. C’est cette situation qui le poussera à écrire son premier ouvrage, afin de les encourager (1541 Epistre consolatoire). Ensuite, il rédigera plusieurs autres traités dans les années qui suivirent, afin de les instruire sur le comportement à avoir dans leur situation difficile. Cette réalité se concrétisera d’autant plus pour lui lorsqu’en 1553, cinq de ses anciens étudiants seront brûlés à Lyon. Sa correspondance témoigne de façon émouvante de quelle façon Viret fut touché par ce drame.
À cela s’ajouta le décès de sa première épouse, Elisabeth Turtaz, en 1546, ainsi que celui de plusieurs de ses enfants nés de son second mariage. On alla jusqu’à publier des calomnies sur les circonstances de la mort de sa femme. Il faudra près de cinq ans pour que l’affaire aboutisse.
Finalement, Lausanne lui réservera encore une autre épreuve dramatique : il sera déposé de son ministère et devra partir en exil. Mais nous ne pouvons qu’effleurer ici cet événement, par ailleurs très complexe.
Relevons seulement que dès le début de son ministère à Lausanne, Viret eut des difficultés avec une partie de la population protestante. Au fil des années, les choses ont empiré. Il osa critiquer leur manière douteuse de rendre la justice et de rechercher leur profit chaque fois qu’ils le pouvaient. Humilié, le Conseil porta l’affaire en justice. Les partis pris étaient tels qu’en novembre 1557, Viret confia à Calvin :
Ma situation en est venue à ce point que, de quelque côté que je me tourne, je ne puis éviter d’encourir le mécontentement de nombre d’honnêtes gens qui sont de mes amis. Tant sont divergentes les opinions, même des plus instruits et des plus respectables.
Berne mettra longtemps à rendre son jugement. Cherchant à ménager les deux partis, elle ne sut contenter ni l’un ni l’autre. L’une des raisons de cette situation était que dans le Pays de Vaud, “on voulait les bénéfices de la liberté sans les charges” :
« ... Ils veulent qu''on leur prêche un Evangile sans repentance et sans amendement de vie ... »
« ... Ils veulent, sous le titre d''Evangile, une liberté qui leur soit totale pour faire ce qui leur plaît ... »
« ... Ils veulent bien être déchargés du joug de l''antichrist, mais ils ne veulent rien porter de celui de Jésus-Christ.»
Les pasteurs de Lausanne ne pouvaient se contenter de tels compromis. En voulant faire appliquer la discipline ecclésiastique à laquelle on travaillait depuis longtemps, et en empêchant les indignes de participer à la cène, Viret se retrouva, en 1559, banni de la ville et de son pays natal par les Bernois, avec le serment de ne plus y revenir.
Texte tiré de D-A. Troilo, Pierre Viret et l’anabaptisme éléments sous droits d’auteur.