Orbe (1531-1532)

Viret, ayant embrassé la Réformation et se trouvant ainsi en danger, quitta Paris et ses études, et revint dans sa ville natale entre la fin 1530 et le début 1531.

Mais entre temps, les choses avaient changé au pays. Changements qui trouvent leurs racines dans le fait qu’Orbe constituait, avec Echallens et Grandson, un bailliage commun à Berne et Fribourg. L’administration en était assurée par l’intermédiaire d’un bailli, nommé alternativement tous les cinq ans. Quant au reste du Pays de Vaud, il était sous la tutelle du duc de Savoie. Si bien qu’en 1528, quand Berne adopta la Réformation, la situation confessionnelle et politique de la ville d’Orbe se compliqua. La plus grande partie de la population resta fidèle à l’ancienne foi, c’est-à-dire à Fribourg. Seule une petite minorité suivit les nouvelles idées, mais elle fut bientôt encouragée par les prêches de Farel, qui se trouva un collaborateur local, Viret.

La Réformation avait divisé la Confédération en deux camps qui s’affrontèrent à deux reprises à Kappel. Zwingli tué, et les Réformés ayant perdu leurs avantages, les Bernois devinrent prudents. Ils ne pouvaient donc pas imposer la Réformation dans les bailliages communs comme ils le firent dans le reste du Pays de Vaud. Dans les bailliages communs, il était coutumier de laisser aux bourgeois le choix de leur religion. Mais les Bernois avaient d’autres perspectives : gagner ces villes à la Réformation et y supprimer la messe. Pour ce faire, ils introduisirent le “Plus”, cela consistait à attendre que la majorité des bourgeois d’une localité vote pour la Réformation, et ce jour-là, les tenants de l’ancienne foi n’avaient plus qu’à se soumettre ou à s’exiler. Mais à Orbe, il fallut plus de vingt ans pour y parvenir. Jusque-là, comme nous le rapporte le banderet Pierrefleur, Berne tint en 1532 à ce que les deux cultes cohabitent :


Ordonnons que en l’église perrochiale [= paroissiale] dudit Orbe, le prêche soit tous les jours prêché sans contradiction ni obstacle, à savoir [= c’est-à-dire] : en temps d’hiver, depuis la Saint Michel jusques à Pâques, au matin, depuis sept heures jusques à huit. Pareillement en été de six jusques à sept. Aussi en ladite église seront dites, et toujours avant le sermon, les matines et laudes après les autres heures canoniques, la messe, cérémonie et offices de l’Église comme paravant [= avant], par condition que icelle [= celle-ci] n’empêche la prédication, ni aussi la prédication les susdites cérémonies et services ecclésiastiques. Nous voulons aussi que chacun ait son libéral arbitre, d’aller au sermon ou à la messe et aux autres offices de l’Église.


Pour les Bernois, Viret se trouva être l’homme de la situation. De mai 1531 à septembre 1532, Viret exerça donc son ministère pastoral dans cette ville. Il le fit même avec un certain succès puisque le nombre des protestants passa de sept à soixante-dix-sept. Les altercations entre les deux communautés furent assez nombreuses et se soldèrent même par un mort du côté catholique. Viret étant natif du lieu, était connu de tous, et malgré son jeune âge, il était écouté et respecté ; si bien qu’il joua un rôle médiateur important, et permit le maintien d’une certaine tranquillité.


En 1565, dans L’Interim, Viret, par la bouche de David, se souviendra de sa ville et la citera en exemple :


T[ite]. Il y a des Princes et des seigneurs et des peuples, qui pour éviter plus grands inconvénients, se sont accordés par ensemble, à une sorte d’Intérim, par laquelle il est loisible à chacun de vivre en sa religion, selon que sa conscience le porte, sans point troubler, empêcher ni persécuter les uns les autres. Et pourtant [= C’est pourquoi] ils ont leurs lois faites sur cela, suivant lesquelles un chacun sait comment il se doit gouverner, selon la religion en [159] laquelle il veut vivre. Ceux qui veulent vivre selon la pure doctrine de l’Évangile, ont leurs Ministres et leurs assemblées et cérémonies à part [...] Les autres font le semblable de leur part [...].

D[avid]. Je peux parler de cette matière, comme expérimenté. Car nous avons vécu en notre ville, en la manière que tu dis, pour le moins l’espace de vingt et quatre ans, ayant la pure prédication de l’Évangile, avec l’administration des Sacrements, pour ceux qui la voulaient suivre, et la Messe aussi, pour ceux qui avaient encore leur dévotion à icelle [= celle-ci]. Mais cependant il y en avait plusieurs de bien bigarrés.



Texte tiré de  D-A. Troilo, Pierre Viret et l’anabaptisme  éléments sous droits d’auteur.